mercredi 25 février 2015

PANORAMA BD — 3 / 6 — ERWIN DEJASSE

Erwin Dejasse est un doctorant liègeois spécialiste de la bande dessinée et de l'Art Brut. Il a longtemps travaillé pour le MAD (Musée d'Art Différencié ) à Liège. C'est un connaisseur en particulier de la bande dessinée argentine et du fanzinat belge car c'est quelqu'un qui est ouvert aussi bien à l'underground qu'à la BD Populaire ce qui parait normal mais pas assez courant. Il a aussi consacré un livre à Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé en compagnie de Philippe Capart, le patron de la fameuse Crypte tonique.

À travers ses écrits et autres interventions il défend une vision exigeantE de la BD qui échappe a toutes analyse facile de type fanboy de base qu'on croise trop souvent. Il essaye aussi d'évacuer certains clichés toujours trop vivaces. Bref, c'est un des rares personnes qui propose un discours intelligent et fin sur la bande dessinées. Malheureusement il ne fait pas parti des quelques journalistes omniprésents qui monopolisent les débats. Ses écrits sont plus rares et gagnent a être connus.

2 choses marquantes de son fait qu'on peut trouver sur le net :

- Un papier sur le rapport entre la bd et l'art Brut : ici

- Ses interventions, trop courtes, dans l'émission radio Grandpapier pour raconter l'histoire de la presse BD : ici

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DERNIÉRE BANDE d’Alex Barbier
France – 2014 – Frémok – 28€

En 1975, les premières planches d’Alex Barbier paraissent dans Charlie mensuel. D’emblée, l’auteur s’impose par ses partis pris radicaux : une narration déstructurée, un traitement pictural dégoulinant et poisseux comme une décharge de sperme. L’œuvre est une succession de flashes hallucinatoires suintants la névrose où s’exhibent « les chaires des garçons nus » (Burroughs n’est jamais loin !). Quarante ans plus tard, Barbier n’a pas cessé de cultiver ses obsessions morbides et signe une œuvre en forme de bilan. L’auteur affirme n’avoir désormais plus rien à dire : ceci sera sa Dernière Bande ! Ultime tour du propriétaire, ultime ressassement de ses obsessions morbides. Les références artistiques de Barbier ont longtemps semblées aux antipodes des canons standards de la bande dessinée ; on sera d’autant plus surpris de croiser ici Buck Danny et La Patrouille des Castors.

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ARDEUR (L’INTÉGRALE) d’Alex et Daniel Varenne
France – 2014 (1980-1987) – Les Humanoïdes associés – 59,99€

Je ne tergiverserai pas, Charlie mensuel (1969-1981) est ce que l’on a fait de mieux en France en matière de revue de bande dessinée. Georges Wolinski, son rédacteur-en-chef, avait « un œil d’acier ; il ne se trompait jamais » (le compliment est de Barbier !). En 1979, il publie le premier chapitre d’Ardeur, œuvre de deux parfaits inconnus : les frères Varenne. Les trop rares commentaires qui ont suivi la présente réédition ont souligné que ses auteurs ont étés parmi les tout-premiers à aborder un genre érigé en poncif : la science-fiction post-cataclysmique. Voilà qui est bien anecdotique. Pour ma part, je retiendrai plutôt la description glacée d’un monde en fin de vie, une atmosphère éthérée avec ses noirs massifs et ses gris pareils à du mercure et la beauté irradiante des planches qui pourtant rejettent tout effet de séduction.

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LES 2 CARRÉS d’El Lissitzky
Union soviétique – 2014 (1922) – MeMo – 28€

Prêt d’un siècle avant l’anthologie Abstract Comics, le conte suprématiste d’El Lissitzky incarne la quintessence de la bande dessinée abstraite. Le peintre russe témoigne d’une inventivité exceptionnelle dans la combinaison harmonieuse du texte et de la forme géométrique tout en décrivant un ensemble en mutation, métaphore des espoirs de transformation sociétale après la Révolution d’octobre. Conçu pour les enfants, l’ouvrage n’en est pas moins un manifeste qui encourage le jeune lecteur à se muer en un acteur dynamique. Lissitzky écrit en page une : « Ne lisez pas – prenez du papier, des crayons, des bouts de bois – pliez, colorez, construisez ».

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BRECCIA EL VIEJO de Juan Sasturain
Argentine – 2014 – Colihue – 29€

En 1987, Alberto Breccia dessine Perramus sur un scénario de son gendre Juan Sasturain. C’est à la même époque que le second décide d’interviewer le premier sur sa très longue carrière entamée dans les années 1930. L’ouvrage est précieux à plus d’un titre. Il donne la parole à un auteur fondamental dont une bonne partie de l’œuvre reste inconnue en Europe mais qui fût aussi un témoin privilégié de l’histoire tumultueuse de la bande dessinée argentine. Enfin, « entendre » Breccia est une expérience jubilatoire tant le Vieux – en Argentine, ce terme est affectueux – brille par son sens de la formule et la manière singulière dont il se joue de son interlocuteur en endossant le rôle du faux naïf.

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BABY BOOM de Yuichi Yokoyama
Japon – 2013 (2009) — Matière – 23€.

Yuichi Yokoyama est certainement l'un des créateurs les plus singuliers apparus ces dix dernières années. Sa démarche consiste non pas tant à raconter une histoire mais plutôt à matérialiser des flux énergétiques. Ce que l'on peut voir dans les cases (personnages, objets, décors...) forme un ensemble de motifs au sens musical du terme. L'auteur expliquait il y a quelques années que ses personnages n'en étaient pas. Dénués de psychologie, ce sont, au même titre qu'un arbre ou une automobile, des éléments visuels. Si Baby Boom s'apparente, comme les titres précédents, à une explosion visuelle jubilatoire, l'ouvrage marque aussi une évolution sensible. Les deux créatures ornithomorphes qui tiennent lieu de protagonistes ne sont plus des objets désincarnés. Avec des moyens minimaux, Yokoyama se livre à une description de la tendresse filiale dont je ne connais comme équivalent que le Vater und Sohn d’E. O. Plauen.

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